On me demande souvent "mais que fait Nokia ?". Bonne question : après avoir inventé la tablette internet, par le N770, quatre ans avant que Apple révolutionne le marché avec un produit sur le même secteur (en faisant évidemment semblant, comme à l'accoutumé, d'avoir inventé le bidule, d'ailleurs ils ont tout inventé sur Terre -- à moins que ce ne soit Xerox), après avoir sorti l'année dernière le N900, Nokia était victime de managerialite (aussi appelé : "dérive bureaucratique"). C'est une maladie courante dans les grandes entreprises : à force de stagner, tout un chacun est promu manager, peu importe en réalité ses compétences. Or, un mauvais manager, qui se reconnait au fait qu'il a le leadership d'une huître, ne prend pas de risque : résultat, les merveilles des techno-geeks de folie de Nokia finissaient entre geeks, bien loin du mass market. Et pendant ce temps, comme tout bon gros bourgeois assis sur ses lingots d'or, Nokia vivait sur ses rentes, c'est-à-dire son énorme part de marché sur la téléphonie classique, et même sur la téléphonie smartphone (au sens large, 44% tout de même, mais si technologiquement Symbian reste bien éloigné de l'iPhone et Android, le comptage n'est pas bien discriminant).

Évidemment, une telle situation ne dure jamais, surtout sur un marché où le renouvellement se fait à présent en deux ou trois ans (un an chez les iPhone fans, qui s'achètent en permanence les nouveaux modèles, comme si la crise n'existait pas). Et ça, l'actionnaire, il le sait. Exit donc le vieux CEO de Nokia, et bienvenu au nouveau. C'était en septembre dernier, le NY times nous analysait alors finement la situation (contrairement au Figaro). Le nouveau, donc : Stephen Elop, canadien (Nokia avait toujours été dirigé par un finlandais !), et... ancien de chez M$. Ah ! À l'époque, je me disais : oui, bon, p'têtre bien que, sait-on jamais, il doit en connaître un rayon en marketting. Sauf que ce n'était pas par là que Nokia péchait (leurs publicités, même pour le N900, sont toujours au top -- comparez avec Blackberry ou Phone7, qui laisse pantois devant tant d'aberration anti-communicante). Ni trop en terme de stratégie de développement : Nokia a racheté Trolltech il y a deux ans, c'était exactement ce qu'il fallait faire. Non, définitivement, le problème était purement managerial ET stratégique, pour être plus précis, il fallait donner une ligne claire, des objectifs clairs, et que tout le monde suive la même direction (au lieu de laisser les excellents projets dans des quasi-placards -- il fallait compter deux mois d'attente pour espérer un N900 l'année dernière, absurde !). À l'époque, on pouvait ainsi lire que Stephen Elop était the wrong guy.

He bien, il s'avère que le gus est effectivement bien mauvais. Déjà, il pousse une gueulante comme un putois en s'apercevant que 4 mois après sa prise de poste, rien ne va : ça, mon gus, c'était justement ton boulot. Outre que c'est exactement ce qu'il ne faut pas faire (ça avance à quoi, hein ? Tes chefs pépères vont le rester, tes geeks motivés le sont bien moins), il fustige le fait que MeeGo ne sera pas prêt avant un an : le drame. Parce que franchement, on ne va pas me faire croire qu'il n'a pas les moyens de faire mieux. Et les moyens, on se les donne.

Sa technique fulgurante : signer un accord avec M$ (et avec Ballmer en personne, qu'il ne devait rencontrer qu'une fois l'an lorsqu'il était son N+X) pour mettre du Phone7 sur les terminaux Nokia. Ah ça c'est sûr, ça fait baisser le TTM. Je suis moins sûr que cette stratégie puisse être qualifiée d'intelligente ; je vous la refais sans litote : c'est absolument, profondément, crétin.

Je vous laisse apprécier les commentaires en dessous de l'article précédent. Tout le monde attendait Nokia sur des technos innovantes. À la place, on aura du la dernière mouture de WinCE, qui aurait pu être la dernière avant abandon du marché si cela n'avait pas pris. À la télévision, c'est Microsoft qui assure la publicité de son OS, sans présenter aucun terminal : en fait, il en existe quelques uns, certainement pour éviter les procès sur Android, et supportés par des opérateurs (comme Orange) qui ne supportent plus les détournements d'Android (google talk qui ne fait pas payer la messagerie instantanée, le partage de connexion 3G sur PC fourni de base, etc). Côté ventes, c'est mystère et magouille de chiffres.

Nokia, avec sa population d'ingénieurs formés à Symbian (libéré) et Linux, va donc devoir s'adapter à un nouveau produit dont elle ne connaît rien, et abandonner en rase campagne des équipes qui bossent sur des technos autrement plus innovantes, et libres, sur lesquelles elle avait la main de A à Z. Et cela dans le but de séduire un marché qui n'a que faire de cette technologie, arrivée trop tard et qui véhicule une image déjà dépassée (tandis que Blackberry attaque déjà le mass market et madame Michu, rachetant au passage QNX, ce qui est autrement plus malin). Et alors même qu'une communauté geek est très forte du côté Maemo/Meego. On y croit très fort.

Nokia vient de passer la vitesse supérieure, c'est certain. Vers le mur.