Le besoin d'un nombre de caractères supérieur à 140 sort ce blog du frigo.

J'ai commencé l'informatique très tôt, à 7 ans (comme un certain nombre de geeks), sur Atari ST, avec du Basic (petite pensée pour Dijkstra). Je n'ai pas fait grand chose, à vrai dire, ma vraie passion était ailleurs, dans l'électronique et la robotique. Au collège, dans le cours de techno, divisé en plusieurs activités durant l'année (la période électronique où l'on construit l'amplificateur sonore, la période de dessin où l'on se demande ce que l'on fiche... Et la période d'informatique), le professeur de techno (quand j'y pense, j'en ai eu quatre, mais une seule année m'a vraiment marqué, à ce niveau) s'est entrepris de nous former à l'informatique. Il y avait les vieux PC dans une salle dédiée mais standard, et des PC neufs dans une salle coffre-fort ; les premiers équipés de DOS, les seconds de Win3.1 — à l'époque, je ne comprenais pas pourquoi on travaillait déjà sur ces vieilles bouses alors que mon Atari était largement supérieur. Le cours ? Je me souviens avoir passé 1h30 à recopier un programme en Basic (encore !... Du Qbasic cette fois, il me semble), pour faire une bannière rotative. On ne nous avait pas vraiment expliqué comment "ça marchait", ni l'algorithmique. L'ennui total.

En revanche, lorsque je fus en 4ème, à la maison, on changea l'Atari pour un PC, 2Ghz, 2Go de disque dur, 32Mo de RAM (quoique, je crois qu'au début il devait y en avoir 16, on l'a boosté plus tard, pour que Win98 puisse fonctionner). Une bête de course, un truc de fou. C'est l'époque où tout les gens de la classe moyenne "éclairée" (pas ceux qui se demandaient encore à quoi pouvait bien servir un tel engin) commençaient sérieusement à s'équiper. Et mon paternel passa à VB3, ce sur quoi je suivi, avant de migrer vers VB6 assez rapidement — moi aussi (en revanche, il passa aussi rapidement au C, mais là, moi non : le lycée, beaucoup de boulot, le livre pour apprendre le Borland qui devenait très, très gros). J'ai donc fait du Visual Basic durant plusieurs années, et j'ai appris par moi-même, avec l'aide Microsoft fournie (il faut imaginer que VB3, c'était quelque chose comme 21 disquettes pour l'installation), et un bouquin sur VB5 (on n'avait pas pu trouver mieux, même à Marseille, il fallait faire 10km pour le trouver).

Alors au lycée (lycée Thiers de Marseille, je précise — élèves sur-sélectionnés), quand j'ai vu l'option informatique, naturellement, je l'ai prise. J'avais d'autres options, en plus de la section européenne, et notamment la TSA (je ne sais plus comment ça s'appelle à présent, ces Techniques des Systèmes Automatisés, l'électrotechnique en somme). Déception, cependant : loin de programmer, nous avons appris à manier Word, puis Excel. Ça m'a bien resservi, mais c'était un mode d'apprentissage de secrétaire, pas d'informaticien. La programmation, c'était par soi-même sur la calculatrice, la TI-85 (puis la 89, ah, quelle puissance !). Cependant, en 1ère, les choses ont changé : de la programmation, enfin ! Un cours de deux heures par semaine, en deux fois une heure. La première le lundi de 17h30 à 18h30 (soit après les trois à quatre heures de cours de l'après-midi, et les quatre à cinq du matin), parce qu'horaire commun à toutes les 1ères, une quarantaine de personnes, ensuite divisées en deux groupes, entre midi et deux cette fois, pour les TPs — alors que l'autre heure était pour la théorie. Programmation en Pascal. À la fin de l'année, j'ai pu faire un serpent et d'autres trucs amusants. En VB, j'étais pourtant allé beaucoup plus loin question résultat, mais on ne manipule pas de tableaux, en VB (c'est possible, évidemment, mais on n'y est pas vraiment encouragé, on peut largement s'en passer par les truchements du langage). C'était un prof de maths reconverti qui enseignait, je crois, mais il ne devait faire que ça dans le lycée, d'ailleurs il me semble que c'était un autre prof de maths qui faisait faire les TPs (les deux ayant la quarantaine).

C'est cet autre prof de maths qui s'occupait de l'option informatique en Terminale. Et puis on nous a obligé choisir au bout de quelques semaines : soit informatique, soit TI (technologie industrielle, la suite de la TSA en changeant le nom à partir de la 1ère) ; avec le même horaire du mardi de 17h00 à 19h00 (plus un mercredi aprem entier de temps à autre pour la TI, puisque c'était censé être 3 heures par semaine), pour rendre les deux options impossible à cumuler. Nous étions deux à avoir gardé les deux options. Nous avons tous les deux choisi de garder la TI et d'abandonner l'informatique. Je me souviens très bien des raisons de ce choix : on apprenait au final mieux par nous-même à programmer, alors qu'en TI, on s'éclatait, on apprenait un nombre démentiel de choses.

En informatique, le prof de maths ne nous a jamais expliqué comment marche une machine. En TI, les profs étaient des ingénieurs reconvertis, ils savaient de quoi ils parlaient, ils avaient une approche pratique forte, on avait envie d'apprendre le métier d'ingénieur. Pour suivre le cours de TI, il fallait avoir choisi l'option dès la 2nde et ne jamais avoir lâché (on était 120 en 2nde, plus que 20 en Terminale — et en section européenne, de 80 on était passé à 15) ; en informatique, on pouvait commencer l'option en Terminale (même s'il valait bien mieux avoir déjà pris l'option en 1ère), ce qui impliquait que le prof devait recommencer par les bases. En informatique, il fallait rendre un projet franchement simple noté par le prof, et les bonnes notes pleuvaient assez gratuitement ; en TI, il y avait une vraie épreuve écrite de trois heures sur des problématiques d'ingénieur, c'était du costaud (et j'ai tout de même eu 20).

En prépa, le problème s'est de nouveau posé : nous avons tous commencé par la SI (Sciences de l'ingénieur), et on nous a ensuite donné le choix, au bout de quelques semaines (peut-être un trimestre), de basculer sur l'option informatique (choix à faire pour les deux ans, aucun retour en arrière possible, un seul cours de test en info pour se décider). Cette option étant dispensée par mon prof de maths à l'ensemble des trois classes MPSI et trois MP, en transversal, ce qui collectait une quarantaine d'élèves au final de chaque niveau (sur 150). En SI, c'était un ingénieur, formé en école d'ingénieur et devenu spécialement prof de SI pour les prépas, qui dispensait le cours. Mais j'en ai eu un peu marre, ayant déjà fait une partie — la plus intéressante — en TI, et la matière étant assez pourrie de calculs encore plus approximatifs qu'en cours de physique (ce n'est pas peu dire...). J'ai donc opté pour l'informatique, et j'y ai fait des choses assez passionnantes, comme reconstruire la logique avec trois états, pour une application à l'informatique quantique, et ce en DS de quatre heures. On y a appris le CamL et on a fait du Mapple — j'ai très largement préféré le CamL. J'ai même poussé la logique jusqu'au bout en prenant le TIPE d'informatique, ce que seule une quinzaine de personnes ont fait. J'ai mené un projet de deux ans sur les algorithmes génétiques, et j'ai codé un voyageur du commerce. En CamL ? Non, en VB6. En deux ans, deux fois deux heures de cours par semaine, nous n'avons jamais fait de OCamL, ni géré d'affichage graphique. Ça laisse rêveur l'ingénieur informatique que je suis devenu par la suite...

Choisir l'informatique comme option puis en TIPE, c'était se fermer des écoles, notamment Centrale et les Mines, nous avait-on prévenu. Tout simplement parce que les quotas sur ces épreuves ne reflétaient pas la proportion d'étudiants partagés entre informatique et SI — et pourtant, il n'y avait pas grand monde en informatique, ce truc un peu nouveau dont un ne savait pas trop quoi faire (en 2002 : l'ordinateur n'existant que depuis 50 ans, il faut comprendre, n'est-ce pas ? Pendant ce temps-là, au MIT et à Berkeley...). Certaines écoles faisaient clairement de la discrimination négative forte envers ceux qui avaient choisi de se spécialiser en informatique. Ayant royalement raté ma prépa, j'ai même poussé le vice encore plus loin : j'ai fait l'EPITA, l'école des geeks, encore malaimée à l'époque (on lui refusait la CTI avec une force assez démentielle : les romanichels, vous savez ?).

Et pour la première fois de ma vie, j'ai eu des profs d'informatique spécialisés en informatique, des vrais informaticiens, pas des recyclés. Au début, on m'a demandé de faire la pré-rentrée, et je n'ai pas compris pourquoi, ayant fait tellement de spécialisation et de bidouillage par moi-même ; c'était finalement loin d'être inutile. À la rentrée et dans les 15 jours qui ont suivi (la fameuse piscine...), j'ai pris conscience du gouffre démentiel qui me séparait de la vraie maîtrise de l'outil informatique. Les 15 jours suivant, j'en ai appris plus que durant toute ma vie jusque-là.

Alors quand je vois qu'on réinvente une option informatique au lycée, pour les Terminale S pour le moment, avec quelques heures (deux par semaine), où les professeurs sont des matheux, des biologistes ou des physiciens qu'on a formé le temps d'un été à l'INRIA, eh bien je suis TRÈS partagé. C'est bien, il y a un effort, dans la réinvention de cette option qui existait DÉJÀ il y a 10 ans, et que l'on avait sauvagement et injustement supprimé (il faut dire qu'il n'y avait pas grand monde, en France, qui la proposait, et que personne n'y comprenait rien...). Mais on revient à la case départ, celle dont je suis issu. Et on l'aura compris, à la lumière de mon parcours, je suis très sceptique.

Les professeurs de TI et de SI sont de vrais ingénieurs, pas des reconvertis. Mais l'informatique est toujours considéré d'une telle manière qu'elle n'accède pas au statut de matière, c'est une activité qu'on peut confier à des gens qui bidouillent le week-end et que l'on va former durant 24 heures par un chercheur dans son laboratoire (certes, c'est l'INRIA, mais quand même). On va parler d'éthique sur Facebook et de programmation objet, de neutralité des réseaux et d'allocation mémoire (non, en vrai d'algorithmie pour faire des additions, j'en suis tout excité). Le tout en 70 heures au mieux dans l'année (et en tout, puisque pour terminales uniquement), dans un lycée sur cinq, parce que surprise !, on n'a pas trouvé assez de profs volontaires à recycler. Du bon sentiment, il y en a. C'est mieux ficelé qu'avant, il y a même un manuel (mais on utilisait très bien un très bon bouquin sur Pascal à l'époque, ou "l'option informatique en classe prépa" aussi). Mais franchement, je suis dubitatif. Ce n'est pas avec de l'enthousiasme qu'on réussit les choses : c'est nécessaire, mais loin d'être suffisant.

Je suis professeur en informatique depuis maintenant cinq ans. J'ai été étudiant pendant trois. Il y a une énorme différence en école d'ingénieur par rapport à la prépa et la fac (hormis les sections "professionnalisante" — les autres sont des sections à chômeurs, a contrario, ou à docteurs-pour-la-fac, ce qui revient assez souvent au même) : en école d'ingénieur, les cours "pratiques" (et ils sont nombreux) sont dispensés par des professionnels, et souvent pas n'importe qui, parce que pour s'adapter aux agendas en journée il vaut mieux être indépendant, ce qui implique d'avoir les épaules très solides pour trouver du boulot par sa seule réputation dans le milieu. Et je peux vous dire que les écoles d'ingénieur ne paient pas beaucoup (dans l'absolu, ce n'est pas mauvais, mais une fois que l'on prend en compte le déplacement pour quelques heures à peine, la préparation parce que le nombre d'heures et le niveau des étudiants n'est jamais le même d'une école à l'autre, la remise à jour des slides pour cause d'évolution de la matière, et la correction de copies au mieux payées au lance pierre, c'est tout à coup beaucoup moins bien...). Eh bien on le fait parce qu'on aime ça, parce qu'on aime former (et potentiellement pour étoffer son propre réseau, petit piou-piou deviendra grand).

Je suis prêt, par amour et dévotion à l'informatique, à aller me faire payer au lance-pierre (mais pas trop non plus, faut pas déconner, et merci de défiscaliser) dans un lycée pas trop éloigné de chez moi, pour filer deux ou trois heures de cours par semaine (si ça peut prendre une journée, c'est mieux pour la facturation). Je suis certain que l'on peut trouver des professeurs d'écoles d'ingénieur qui bossent dans des labos pour les dépêcher une journée en lycée. Ou des vieux informaticiens qui ont tout vu dans leur vie et qui pourraient finir leurs carrières à transmettre leur savoir et leur expérience (ce sont mes préférés, j'en connais un bon nombre, je les adore, les écoles d'ingénieurs savent très bien les récupérer d'ailleurs).

Je suis persuadé qu'il y a de meilleures solutions que de recycler de gentils professeurs qui ne doivent même pas imaginer les efforts colossaux qu'il faut faire pour être un informaticien brillant (et ce même si je sais très bien que RMS était prof de physique à la base). On demande un niveau bac+4 dans une discipline pour y enseigner, après avoir passé le CAPES, ou mieux, l'Agreg. On embauche déjà des ingénieurs pour dispenser des cours de TI/SI. Mais en informatique, non. Certes on manque d'informaticiens, mais c'est un problème de poule et d'oeuf, à force d'avoir considéré la discipline comme celle de pestiférés, de sous-ingénieurs, voilà où nous en sommes arrivé. Il faut donc investir, et d'ici cinq à sept ans (le temps de terminer le bac+5), on verra des résultats qui viendront nourrir naturellement la machine. Ça, ce serait un vrai effort !

À la place, on va prendre de gentils amateurs, saupoudrer un peu de tout et n'importe quoi, pour faire les mêmes erreurs qu'il y a dix ans. Alors je vais regarder mon art être encore une fois bafoué (avec de bons sentiments, cette fois), et très probablement échouer dans la mission annoncée. Et on pleurera encore.

Disclaimer : je suis une Cassandre assez efficace.