Voici donc que l'ouverture des blogs linagoresques (?) me permet enfin de faire partager mon compte-rendu du salon RTS (comme Real Time System) que j'ai arpenté au tout début d'avril, sur un jour et demi, en compagnie tout d'abord de mon stagiaire Rémy le premier après-midi (pour une conférence sur son sujet de stage, la paravirtualisation avec OKL4), tandis que le lendemain était consacré à une visite des stands et à la conférence sur le libre dans l'embarqué, en compagnie de l'autre stagiaire du pôle embarqué, Johana Bodard.
Le salon du Temps Réel de cette année 2008 était donc de retour à la porte de
Versailles après un passage prolongé plusieurs années de suite (deux ou
trois) au CNIT ; mais cela ne pouvait pas masquer un très net
ralentissement, toujours plus en progression : cette fois, les deux
salons Display (affichage numérique) et M2M (Machine to Machine,
communication entre matériels distants) étaient totalement fusionnés,
alors qu'en 2005, on pouvait voir des imprimantes 3D dans un hall bien
séparé. À cela, plusieurs explications comme le coût des stands de plus
en plus inabordable, surtout en comparaison des retombées, mais aussi
peut-être le fait que le secteur se stabilise, ou plutôt se
cristallise. En ce sens, certains acteurs du temps réel comme Dolphin
ou Concurrent Computer n'étaient présents qu'à Solutions Linux, et plus à RTS.
Une seule enseigne majeure était de retour, Montavista, tandis que
beaucoup d'autres ont disparu ou fusionné : Polyspace (vérification
formelle de code) a été englobé par Matlab ; Systerel (sécurité et certification) se trouvait sur
le stand de Sysgo. Trolltech (venant d'être racheté par Nokia pour sa
technologie Qt parfaitement adaptée à l'embarqué), Jungo (et ses piles
horribles), ou WindRiver (qui a apporté... un flipper) se trouvaient
sur un second mini-stand du revendeur de cartes embarquées Neomore, qui
avait oublié d'apporter son produit pas cher pour démo, la gamme Embest.
Les stands n'étaient pas bien folichons non plus : fini les
animations chez Ecrin, qui n'a pas même apporté ses cartes VME (le
concurrent Gaci était tout simplement absent, pourtant l'année dernière
les offres groupées hardware et software fleurissaient), WindRiver ne
distribue plus de chocolat (et les sacs distribués à l'entrée sont à
l'effigie de SFR/3G+), même Arion a laissé tombé sa démo très visuelle
de l'année dernière. Seul Greenhills tire son épingle du jeu : immense
stand, présentations interactives de leurs différents produits avec
mini-conférence toutes les deux heures, distribution de documentation
papier et clé usb (256mo, avec cordon !), le luxe comme à la belle
époque, image très dynamique renvoyée que l'on aurait aimé plus voir.
La visite du salon s'est faite en deux temps : lundi après-midi, et
jeudi entièrement. Première étape en compagnie de mon stagiaire :
conférence paravirtualisation et embarqué, avec présents et dans
l'ordre Trango VP, Virtual Logix, puis Greenhills et son IntegrityPC,
et enfin Sysgo avec PikeOS. Les premiers sont bien connus de ma
personne : j'ai travaillé pour eux, et bien avant l'ingénieur qui a
fait une présentation honnête, mais assez peu précise, quant aux
mérites techniques de la solution (certains points sont très
commerciaux et masquent une réalité plus simple, inversement) ; les
seconds peuvent se vanter d'être les premiers à équiper une solution
commercialisée "grand public" (comprendre : pour développeurs...), avec
le Purple phone, sur base hardware de chez NXP (fork de Philips ; à
noter une citation de RTK-e, apparemment le nom de leur noyau interne
n'est plus tabou, on se rappelle que j'avais voulu le rajouter à la
liste des OS sur wikipedia sans succès il y a deux ans) ; Sysgo fait
son chemin, comme ses "camarades" précédents, la recherche de
certification EAL de plus haut niveau possible (on parle plutôt de
EAL5, voire 6) est dans les tuyaux ; Greenhills attaque fort, en
revanche, certifications à gogo, expérience sur IntegrityOS (qui équipe
les avions depuis de nombreuses années) oblige, mais si la solution
marche par exemple déjà sur de la radio militaire portable, elle n'en
reste pas moins réservée à du x86 (avec techno VT/Pacifica) ou PPC
(voire PowerQUICC). Idée glanées par-ci par-là pour mon stagiaire
(comme l'exécution sans recompilation d'application Linux virtualisée
dans une sandbox émulée), qui travaille sur la seule solution majeure
non ici présente, et Open Source (licence BSD) : OKL4 d'OK-Labs (base
noyau L4).
La seconde conférence intéressante était le jeudi matin, Open Source
et embarqué, assistance nombreuse, plus que pour la paravirtualisation,
et un rapide coup d'oeil dans les salles d'à côté montre le succès très
large de ces deux prestations contrairement à toutes les autres,
prouvant de facto où se porte toujours l'intérêt du Consumer Electronic
(CE) à l'heure actuelle, puisque l'année dernière c'était la conférence
Linux qui remportait le plus de succès, et la partie paravirtualisation
le plus d'intérêt porté. Mandriva ouvre le bal avec son PDG, au franc
parler et à la fluidité sans pareille, mais au discours assez éloigné
de ce que l'on entend trouver à un salon comme RTS ; puis Montavista
avait des choses à dire, mais le sympathique orateur avait du mal à
s'exprimer, dommage, informations intéressantes en tout cas, quoique
non révolutionnaires ; CIO informatique, la sympathique petite boîte du
Sud qui ne fait plus que du Linux embarqué (et croûle sous les
demandes... à leur échelle), a recentré le débat sur ce qui en est
effectivement au coeur, les attentes des industriels, les erreurs à ne
pas commettre, l'importance du juridique. Sur ce point, Adacore (je
demandais justement l'année dernière à l'un de mes amis comment il se faisait
qu'ils n'étaient pas là) se permet de corriger, notamment sur le fait
que même condamné après une violation de GPL, il n'y a pas obligation à
redistribuer les sources internes ; le point est fin (mais l'exposition
à la limite du troll), et la présentation aussi dynamique que
commerciale cache les raisons jusqu'à la séance des questions :
l'obligation est de faire cesser le litige, c'est-à-dire qu'il reste
toujours le choix de retirer le produit et ne rien diffuser, et assumer
le coût que cela implique. Il faut relever le grand mérite de cet
éclaircissement : une licence libre n'est pas plus ni moins complexe
qu'une licence propriétaire (enfin si, elle est souvent plus claire),
du moins elle comporte comme toujours des possibilités et des
obligations ; prendre ce qui intéresse (gratuité et disponibilité des
sources, absence de royalties à la distribution du produit), et ignorer
les contre-parties demandées (redistribuer les sources GPL avec les
binaires par exemple) est équivalent à pirater n'importe quel logiciel
propriétaire, ni plus ni moins ; et si l'on n'est pas content, il n'y a
qu'à voir ailleurs, le monde est assez vaste. J'applaudis des deux
mains cette position, que j'exposerai encore plus précisément et avec
appui à mes élèves, qui prennent la question beaucoup trop à la légère
(et pourtant avais-je déjà bien insisté), comme tous les ingénieurs
déjà en poste, dont le hobby principal est de se tirer des balles dans
le pieds.
Sur les stands, on peut voir une démonstration impressionnante d'un
outil de débug par génération automatisée de test cases unitaires dans
la suite Rational d'IBM (l'outil provient en réalité d'un rachat d'une
société Française, tandis que le reste de la suite, de Lotus à
Clearcase, est toujours aussi moche). Dspace montre quelque chose de
similaire dans l'idée, mais pour Matlab. Ces derniers ont enfin une
vraie version Linux potable, et Simulink marche aussi, enfin, il n'y a
rien pour le prouver sur le stand. Anticyp et Neomore sont les seuls
vendeurs de cartes à base ARM ou xscale. WindRiver (qui nous parle du
dernier Intel consommant 4W, mais dont la carte de dev comporte un
ventilo, paraît-il vraiment inutile) ne fait plus la publicité de Linux
à grands coups de pingouins, mais Sysgo non plus, alors que cela reste
leur principal produit d'appel ; d'ailleurs le système de navigation de
BMW (contenu dans la radio, chip PPC) a migré sous Linux récemment, et
est déjà commercialisé ; les autres produits chez les différents
constructeurs, toujours sous VxWorks, devraient suivre (depuis, on l'a vu, c'est le chemin de la paravirtualisation qui a été choisi par WindRiver). Trolltech a
fait venir deux Français de Norvège faire la promotion de Qt for
Embedded, nouveau nom de la branche Qtopia sans le support téléphone
(mais présenté sur... des téléphones Neo en place d'OpenMoko, Milo de
Sony toujours sous Linux, et HTC sur WinCE), et distribuait les goodies
aux gens sympas tels que nous (du chauffe-tasse usb à la house pour
portable). Très intéressantes discussions, surtout que notre deuxième stagiaire du pôle embarqué (une fille, en plus ! ;) ) travaille (ou veille technologiquement) sur OpenMoko, Android, et la téléphonie mobile sous Linux en général. Et en se promenant entre les stands, le logiciel libre
d'émulation qemu a très clairement le vent en poupe, impressionnant
lorsque l'on connaît ses conditions de développement !
Cela contredit tout de même quelqu'avis de professionel des coprocesseur et ancien professeur (trolleur dans l'âme, à vrai dire) nous affirmant sur son stand que Linux, bien du monde en
était revenu ; non pas qu'il soit en faveur de WinCE (complètement
disparu, cette fois, juste une ou deux mentions sur l'ensemble des
stands, l'époque de l'espace de formation gratuite dédié est
manifestement révolu), mais c'est que sa vision du Temps Réel (et a
fortiori de l'embarqué, qu'il assimile facilement, tandis que sa
distinction "temps contraint" va même englober des applications
pourtant critiques du militaire...) se limite à ce qui est "pur et
dur", et comporte au finalement l'automobile (côté calculateur de
bord), l'avionique, le spatial, et les communications ou calculs
particuliers en interne aux industries, soient effectivement des
milieux où Linux était pressenti sans que l'on sache trop pourquoi, et
dont le retour à la raison n'est pas si étonnant. Ignorés sont de sa
personne toutes les problématiques du CE : modems, routeurs,
téléphones, etc. "Que ça"...
En réalité, Linux est entré dans le paysage, on ne se pose plus trop
de questions à son sujet, il s'agit d'une solution tout à fait
envisageable, parmi d'autres. Plus de folie ambiante, il semble au
moins que sur ce point, la raison soit de rigueur. Reste à savoir le
pourquoi exact de ce sentiment mitigé. La proximité avec les salons
de bien plus grande envergure comme Barcelone (GSM) ou le CES de Las
Vegas ne doit pas y être pour rien, RTS n'a décidément pas encore bien
pris le tournant CE, ce que l'on peut d'ailleurs remarquer au niveau de
nos grandes entreprises françaises (Sagem, Thales, et... heu...), qui
peinent à se recycler et sortir d'un milieu purement industriel qui ne
rapporte plus rien (vive les salaires dans le spatial, à Toulouse :
division par 5 à 10 du facteur temps nécessaire à l'évolution du
traitement). Reste des problèmes d'engorgement et de tâtonnement,
toujours, sur ce sujet ; c'est ici que pourrait se jouer la bataille,
et notamment la prise de positions stratégiques dans le milieu de
l'embarqué sous Linux. En espérant que Linagora s'engouffre dans la brêche :).
Toute la documentation glanée est disponible à mon bureau (ou plutôt en dessous), dans le grand sac rouge. On peut se prendre à rêver aussi d'une participation un jour de Linagora en tant qu'éditeur (ou simple intégrateur) de solutions Linux embarqué innovantes, et pourquoi pas, montrer notre savoir faire et notre envie de se positionner sur ce marché, en compagnie des acteurs OpenSource déjà implantés (Trolltech, Sysgo, CIO informatique, AdaCore, Montavista étaient tout de même bien présents), qui finalement se complètent tous plus qu'ils ne se concurrencent réellement, alors que la demande ne cesse d'augmenter, mais plus discrètement qu'avant, et surtout, de manière toujours aussi désorganisée, à l'image de ceux pouvant y répondre, lorsqu'on y pense. A présent que l'on a le bazar, il serait de bon ton de construire une cathédrale :).